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vendredi 31 décembre 2010

L'Ivre Miroir - extraits 3 (Simple + Simple)

L'Ivre Miroir

Simple + Simple - extrait

Les trésors simples

Quand les crapauds croassent c’est que le soir est tombé que les étoiles scintillent que le ventre est plein et que le silence règne aussi

Quand là parmi les toits sur la terrasse résonnent les musiques de la radio passant Satie Sinead O’Connor Portishead ou Bartok j’écoute ce qui croasse ce qui va et va moins
Certaines choses dissonent
Certaines voix disparues jaillissent sur les tuiles
tout doit disparaître

On a un âge
un timbre un visage une tête pleine qui sous la lune prennent un sourire pale
On a hier un frère une collègue un grand père et avant-hier de nombreuses ombres qui sont passées
On a l’air fin le ventre qui grouille on a la trouille que ça s’empire on nous dit que c’est inéluctable on s’en sort alors aujourd’hui mal et demain bien
On a des trésors mélodiques qui à chaque réveil reviennent luire à l’aube sur les ondes de la caféine

La poésie à 2 balles reprend chaque matin le dessus dans le coaltar la vie est belle

Des africaines chantent des vietnamiennes des parisiennes des anciennes des actuelles chantent envolant nos têtes rêveuses
Balafons accordéons coras tempuras violons tablas racontent à qui peut le temps prendre de l’entendre quelles intempéries ont perturbé le sort de certains hommes et non moins de tout doutant

L’amusement se lit sur les lèvres la fête résonne encore et les têtes de piaf des gosses émerveillés nous émerveillent assez longtemps

Que les proches crèvent c’est assez banal en somme tandis que le souffle suffoque dans la brûlure des larmes

Les choses simples sont chose rare
Il y avait au moment où l’on cause des évènements graves bien sûr
Mais
Les dire les redire les rafales d’images
vous laissaient au final coi

Dans l’enchevêtrement de carrefours vous vous ferez bien un chemin qui ne ressemblera à aucun autre tentant la réussite le bonheur l’allégresse
écrirez des chansons des souvenirs des journaux
ferez les enfants jouerez les adultes et resterez soyons en sûrs en quelque lieu
dans la Mémoire

Quand les grenouilles croassent la nuit venue
-ce doit être un étang qui est tout proche de ce toit d’entre les toits-
il y a dans ce silence animal l’image sonore de la paix à laquelle chaque âme aspire toute unique et humaine qu’elle est

Une immense photographie de planète allant paisible à ses révolutions, glissante, sur le roulement à billes dans l’Espace

La chance ici là en France non occupée de n’avoir des cieux tombant que des sons d’insectes et de batraciens se partageant le monde
l’heureuse tranquillité d’un soir

On a un âge
on ne se demande rien
on ne demande rien on ne vous demande rien
Age d’or ignare ?
On a un âge
on absorbe tout on observe tout on prend l’ensemble comme il vient
Age d’or savant ?

L’ignoble c’est le non noble
L’immonde étant l’impur nous apprenons que le monde est pur
et de nuance en opposition
on commence à penser que la mondanité vaut mieux que la religion
on parie que la prochaine guerre mondiale sera la plus terrible d’entre toutes

Cigales et rainettes se seront tues
Slogans grèves et luttes ont été vains
Textes chants musiques ensevelis
Quand les convictions passées en silence à la moulinette l’humanité déchoira

Il est fini le temps où l’entre guerres avait des charmes des flonflons
Les prochaines guerres seront utiles
plus utiles encore que les précédentes
car si l’on aura comme à l’accoutumée convaincu les peuples de sa nécessité on aura pour les prochaines réussi à convaincre les peuples qu’ils n’y participeront ces fois-ci pas vraiment
De nos jours on les épargne les civils c’est bien connu
Plus utiles car ils iront droit aux faits : ce ne sont plus les peuples que les guerriers défendent mais d’obscurs intérêts

On a un âge
on ne sait plus ce qu’il faudrait
ce qu’on pourrait encore dire

Le troisième âge des civilisations sachant pertinemment le déclin proche un peu honteux mais ne pouvant faire autrement que de se faire dessus

Sans prévenir ils nous quittent les uns après les autres les parents les frères
On abandonne notre vieillesse dans des maisons closes, retrait de la vie
Sans rien conclure leurs vies s’achèvent
Sans ponctuer ils cessent leurs respirations qui au fond soutenaient la nôtre
Sans vergogne ils nous désignent

Alors
on est à l’âge où on se plonge dans le lyrisme tantôt tantôt dans l’alcoolisme
On écrit on représente le monde en croyant l’acte salutaire et que ce sera moins pire, tout isolé que fût cet acte
se battre crier écrire partager festoyer songer

On parle en disant « on » comme si l’humanité était une et que sa voix comptait

Et lorsqu’une grenouille croasse en paix
on y voit le signe que les Hommes sont bons
Et cela est vrai





L’aube d’un monde nouvel

Au début était la gerbe.

L’Homme vit le soleil se lever sur le village, une nuit somnambule, vit la profondeur des roses des rouge sang se graver à d’étonnants nuages. Vit, sur sa terrasse, laissée là la semaine précédente, une bassine de plastique vert qui commençait à schlinguer dur, rutilante dans la rosée et dit : ça c’est pas mal.

Le gratin de courgette au poisson avait mené sa petite vie, grouillante de pucerons, moucherons, asticots. Les oiseaux dans le ciel petits rats dansaient. Le calme soi-disant est un luxe et régnait sur l’âme encore aux corneilles, bâillante, de cette petite ville du sud, où il fait meilleur vivre qu’ailleurs. Et l’Homme se dit : c’est bon.

L’homme prit entre ses doigts une fine feuille de papier transparent. Resta longtemps assis, sourire aux lèvres, tête penchée, observant l’incroyable ballet des hirondelles. La gomme collait à son index. Les oiseaux, au fond, comme les étoiles, étaient immobiles si on voulait. Il y avait, non loin du cœur de la villette, un fleuve qui passait. D’ici s’entendait le chant pur et angoissant des crapauds qu’on disait des chats; à la surface stagnante - fleuve d’huile - les araignées d’eau patinaient élégamment bien au-delà du territoire des truites. Les yeux fermés, l’homme entendait bien tout cela, savait les beautés et les rudesses des mondes, son papier à la main, et dit : putain ça vient pas.

Il sortit, c’était 5h51, de sa poche le tabac. En roula une première. C’était dans son corps l’arrivée par bouffées des premiers signes d’un étrange ennui / quasi mortel. Une machinerie se mettait en branle, même qu’hier : il refaisait quelques mêmes gestes, avait dans la tête des airs de musique, savait qu’il irait bientôt chier, rêvait de refonder le monde, s’interrogeait sur ses amours, pensait à son travail, admirait au travers des fumées qu’expirait ce frêle corps la ronde des hirondelles. Arrivait 6h30 sans crier gare et dit : ah j’ai pas envie.

Seul comme tous dans un échantillon univers, il était /au final/ volontaire, heureux quelque part, dans cet engrenage routinier. Il avait en tête des phrases qui ne voulaient rien dire, au cœur des envies floues qu’il ne prenait plus trop le temps de comprendre, au ventre une boule.

Contemporain, voilà ce qu’il était, devait bien être en quelque sorte. Avec ses vêtements d’une certaine mode, son langage à un certain stade, ses comportements sociaux dans une certaine norme, sa conscience de la complexité du monde et de sa relative vastitude.

Là, au sommeil finissant, il vit, bien au rendez-vous, 2 minutes 21 plus tôt que la veille, le jaillissement du premier rayon, écrabouilla sa clope dans le gratin de courgette et dit : caca.

Entre les 4 murs, dont l’un de verre et les 3 autres couverts d’un fondant épais de papier journal disant une actualité discontinue, il se plongea dans les articles du seul journal sérieux à ses yeux, écrit par de vrais journalistes qui investiguent, se mouillent, se donnent, réfléchissent, apportent une matière solide à qui veut convenablement réfléchir et comprendre les tenants et aboutissants. Il lit un dossier sur l’esclavagisme animal, sur la terreur birmane, sur le mensonge du trou de la sécu… il restait toujours trop longtemps aux chiottes et au fond ne naissait-elle pas là cette sensation de sourde aphasie, de lente agonie, d’accablement de toutes parts ? qui vous fout une journée en l’air ?

Au doux son de l’eau achevant d’emplir la chasse, il alluma la radio.

Il était de son temps, ce temps gavé à l’entonnoir par les 7 milliards de paroles. 7 heures, recommençait le ballet. L’Homme buvait son café, avait son regard d’enfant, savourait un peu cette chance extraordinaire de boire un café en paix, sous un toit français. L’enfant écoutait le monde enseignant se mobiliser, imaginait les travailleurs se soulever, les étudiants gueuler naïvement dans les rues des slogans éculés, l’enfant observait la fabuleuse mue du mensonge : l’inéluctable et féroce déploiement de la toile de l’oppression. Le Japon souhaitait que le marché soit mieux régulé, la Chine promettait un meilleur niveau de vie et une voiture à chaque chinois, l’Europe faisait sa belle et sa fière, pressentant bien une quelconque crise bientôt, l’Afrique ne savait pas qui elle était… le charnier des arbres grossissait à vue d’œil.

L’Homme buvant un café avait son regard d’enfant. Il zappa et mit la radio qui le mettait de bonne humeur. Gainsbourg chantait au petit matin Coco and Co et l’homme dit : c’est cool.

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