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vendredi 31 décembre 2010

Tout ça (2003) - extraits

Tout ça

Roman d’abstraction
Extraits

2003









Ma petite fille

De mes couilles pourrait naître une petite fille, à laquelle je raconterais qu’elle est sortie des roses. Un bout de chou, un sourire craquant, des yeux brillants, de longs cheveux châtain bouclés. Un poussin hors de la coquille, à protéger, à accompagner jusqu’au bout. Un ange à qui donner des ailes, un corps minuscule supplémentaire dans Tout ça.

Je la sens au fond de moi, elle est présente, elle est autre et mienne à la fois. Son visage prend forme la nuit et j’entends déjà ses premiers mots, ses questions naïves, élémentaires, universelles. Je fleure déjà avec une douleur infinie l’éclosion de ses premiers doutes, je vois jaillir le premier instant d’une source en elle : le premier gros chagrin d’enfant. L’apprentissage des grandes interrogations fondamentales, avec leurs réponses un peu décevantes au fond. Entre les réponses que je lui donnerai et les points d’interrogations, il y aura encore une ressemblance troublante.

Je me vois faisant mine d’affirmer les choses. Pour encourager son petit cœur.

Je la regarde, submergé par une joie incommensurable, commencer à nommer chaque objet qui l’entoure, poser l’abstraction de chaque mot sur chaque couleur, je la vois qui construit en elle l’architecture du labyrinthe. Absorbée dans ses cubes verts, ses triangles jaunes, ses étoiles en plastique rouge, se croyant seule dans sa chambre, elle expérimente le mystère de l’espace, elle découvre les formes, les limites de la sphère en plastique bleu dans laquelle tout ça doit bien finir par entrer. Je découvre cet être. Il subit ce que l’espace de la chambre lui révèle, il se meut et commence à décider de ce qu’il convient de faire et de pas faire.

Derrière mon miroir sans tain, j’observe cliniquement ce cas unique, évoluant dans le milieu ambiant que je lui ai offert, imposé. Il s’amuse entre les quatre murs. Il rugit de plaisir, il tourne dans la cage, il cherche sa nourriture ludique. Il trouve. A un moment il se fait mal à la main mais ne pleure pas car il se croit seul. Son bobo ne dure pas car là n’est pas l’essentiel : une histoire d’attirance débute entre le cube et le cercle il faut s’occuper d’eux, les faire se toucher, s’imbriquer. Il faut, dans un langage articulé à ma manière les consoler, les rassurer, les rapprocher pour qu’ils s’embrassent tendrement. Mes petites mains communiquent leur chaleur à ces objets froids, je veux les voir vivre, s’adorer, marcher ensemble.
Je ne suis qu’amour et angoisse.

Soudain son regard se détache de tout ça. Elle vient de se souvenir de sa mère et de son père. Elle a soudain un sentiment panique, d’abandon. La terreur se lit sur son visage comme si elle découvrait un charnier au sommet duquel gisaient ces deux parents. Les vannes s’ouvrent, les cris la prennent elle lâche les objets.
Je sors précipitamment de ma cachette, affolé. J’ouvre la porte bruyamment, avec mon regard rugissant et meurtrier je scrute tout ce qui est autour pour faire fuir la meute de prédateurs et, aussitôt lorsque la situation est redevenue calme, je charge mes yeux d’amour, la fixe tendrement, l’extirpe de ce sol menaçant et la serre follement contre ma poitrine. Je sais alors car je m’en souviens bien aussi qu’à cet instant seulement les secondes s’éclipsent, les siècles d’abandon disparaissent magiquement, les larmes cessent de couler. La tendresse.

Doucement elle s’endort. Je suis sa bulle. Je suis la muraille de l’inconscience. Je suis dans tout cet espace la seule forme qui n’interroge pas, à laquelle on se peut fier aveuglément.



Si cet enfant naissait et existait vraiment, je serais également celui qui, bientôt, devrais lui révéler et tenter de lui faire comprendre l’autre et atroce face de la réalité : le Temps –notre unique et véritable propriété privée- auquel il lui sera impossible de toucher.


Alors je me suis levé

Alors je me suis levé, dirigé vers ma main, allumé l’ordinateur. J’ai repris le fil de mon texte avec le besoin impérieux de continuer, d’avancer. J’ai relu quelques passages, les ai volontairement chassés, oubliés. Tout ça c’est naze, vain, ridicule, lourd, insatisfaisant… Tu te parles à toi-même alors que le lecteur attend que tu Lui parles ! Mais, foutaise, j’ai annulé mentalement tout que j’avais écrit précédemment, pour mieux inventer. Ne pas abandonner.

J’ai commencé à regarder les phrases en moi, à donner un coup de pouce aux mots, comme on souffle dans les bâtonnets à bulles de savon. Et j’ai observé ce qui se passait, j’ai regardé naître, j’ai joui du spectacle miraculeux du présent qui s’offre. J’ai conçu l’aube de mon texte. J’ai tout invité de A à Z, incorporant ce que je voulais, pour rire, pour voir, pour le plaisir avant tout. J’ai songé un peu à faire apparaître, en filigrane, tout ce qui ne serait pas stricto sensu dans les lignes. J’ai lancé des pistes de lecture, j’ai semé des indices permettant d’accéder à tout le non-dit, au non traité, au pas assez développé (manque de temps). J’ai papillonné, joué à colin-maillard, fait des propositions de fragments.

Donnant tout de moi, n’en laissant vivre qu’une once. Je me suis convaincu que c’était ça écrire, cette découverte du texte qui naît en soi et parle à chacun.

La hantise de l’accumulation m’a torturé. De mots, d’objets, de phrases à la grammaire pauvre, de syntaxe peu diversifiée. Lieux communs, clichés, personnages communs, déjà dit, déjà vu quelque part, juxtaposition de groupes verbaux, surenchère de virgules… Abus de présent. Cent fois je m’arrête, dans ma course effrénée, dans l’exaltation de ma petite personne, pour regarder sur le bord du circuit, voir si je ne loupe pas l’essentiel, savoir si je ne suis pas en train de me gourer de chemin. Je déchire à grande vitesse toutes les mauvaises ébauches qui s’élaborent dans ma petite tête de linotte. Puis j’avance, je cours derechef ; dans l’haleine, de peur qu’elle ne se perde. Fi des biffures. Mort au travail. Mort au roman. Un seul mot d’ordre : génocide des personnages ! Tout est dans la viscère. Tout doit non pas sortir d’un trait mais jaillir abondamment de toutes parts. Recréation de ce passage du néant au prétendu Big-bang.  Tout ça est minutieusement organisé s’il l’on veut bien voir. Et cesser de tout vouloir justifier, cesser de vouloir plaire…

Comme l’a dit un beau jour sur la belle onde d’une radio un beau philosophe (mais combien ne sommes-nous pas qui eûmes pu le dire à sa place ?) un homme, c’est celui qui a à déceler en lui l’étincelle de la création.

Oui, il faut en soi, hors de soi, laisser libre cours. Vannes ouvrir. Ne pas se demander ce que le sens a à nous offrir. Mais accueillir le plaisir, comme on savoure le parfum tourbé d’un Ardberg. La beauté des vieilles pierres, les légumes du marché, les souvenirs de Portugal et de nègre-blanc… Les images, les instants qui nous emplissent, donnant consistance et matière à conter. Ne rien se dire sur l’émotion envahissante, mais prenant la pomme de douche la sentir s’écouler tout au long du corps. La croquer. Adorer ça. Prendre son temps. Chanter. Sourire. Fermer les yeux dans la vapeur. Jouer avec la température. Oser le brûlant. Ne plus pouvoir respirer sous le glacial. Labourer les champs sémantiques, les haïr, les mettre en jachère, les conchier. Etrangler les banalités. Hésiter l’infinitif. Souffrir le martyre parce que c’est comme ça t’accoucheras d’un texte de plus dans la douleur. Surtout ne pas laisser le monde pourrir sous nos yeux, l’aider à rester digne. Se persuader qu’écrire est d’utilité publique. Se moquer de soi. Se soumettre à la loi du hasard. Tenter des astuces, des coups bas, emprunter les voyettes, les ribines, les chemins souterrains du labyrinthe. Penser. Être. Croire à l’écriture.



Penser
-ayant l’existence dans l’os-
la mort de l’être


Voir naître le texte


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