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mercredi 10 février 2016

Petites recettes faciles - 2

Pour faire un monde qui coule dans un moule, puisez un peu de pétrole, un peu de Vitrolles, un petit pactole, faites spéculer à l'aide du fouet
Faites monter votre régime sous le manteau en prenant garde que cela ne se flaire trop
Réunissez quelques commis prêts à vous prêter main forte
Ne lésinez pas sur la dose de coups bas
Ne réprimez aucunement la rage logeant dans les viscères
En cachette, écrasez sans modération vos mégots sur le front des malades mentaux et lavez-vous les mains; cette recette doit être facile et rapide

Déversez de la haine macérée plusieurs années dans le moule qui, déjà, prend forme...
Remplacez l'âme et le corps des anciens manuels par l'or et la came, il faut être actuel

Un monde dans un moule, ça ne tourne pas rond : aussi ayez les idées droites, le geste affiné et les villes quadrillées; cela vous sert puisque c'est le moment de choisir quel quartier écraser en premier

Nous vous conseillons d'ajouter à la marmite le quartier de pieds noirs dont vous aurez préalablement retranché les cous. Couvrez toute tentative mutine et laissez mijoter

ATTENTION cette opération est délicate:
sur le ventre d'un mioche, posez une feuille de vigne puis un fer à cheval bien rouge, serrez le tout avec de la grosse ficelle, mettez à gros bouillon tout en ôtant l'écume et les mots de la bouche de l'enfant

Malaxez ensuite - n'y allez pas avec le dos de la cuiller - les peaux brunes et rousses et deux cervelles fraiches d'hier d'un nègre qui tourne au blanc et d'un rabin de souche.

Pour épater vos amis, découpez dans chaque tranche de vie deux triangles : disposez en étoiles, un rose, un jaune, un rose, un jaune...
Avec les chutes, tapissez l'intérieur d'une terrine que vous glissez au four suffisamment préchauffé. 

ATTENTION pour savoir si la terrine est cuite, enfoncez une brochette dans les lambeaux de chair: la pointe doit ressortir bouillante, légèrement humectée.
Faites bien monter la pression -toujours sous le manteau- sinon la graisse remonterait à la surface et avertirait la campagne environnante de votre petite cuisine.

à table....


Petites recettes faciles

La patte brisée



Mélangez Farid, Shel, beurs à deux aubergines bien mûres préalablement farcies de pain raci en frottant les paumes de la main l'une contre l'autre

Après les avoir fait dégorger, bourrez les aubergines d'intentions mauvaises

Echauffez les muscles de Shel, préparez moralement les pieds de Farid à se faire briser

Une fois chaque ingrédient bien conditionné, battez le tout avec un fouet jusqu'à ce que violence monte et tourne au vinaigre

Dès que la vie d'un des deux nègres est toute prète à craquer, écrasez-là doucement avec les mains, étalez, faites de légères entailles et un trou au centre, que vous maintiendrez ouvert avec une petite
cheminée

Faites blondir, faites flamber.

Saupoudrez le Shel flambé des restes de Farid -dont vous aurez conservé une patte.

Pétrissez vivement. Mettez en boule. Pétrissez encore. Remettez en boule. Cela trois fois minimum et plus selon votre bon plaisir.

Prenez la patte de Farid entre vos mains, (les aubergines ont maintenant disparu dans la farce) et brisez-là.

Petites annonces

Chaise électrique d'origine américaine, bien faite, très bon état de marche cherche volontaire peine de mort car se sent bien seule ici en Europe


Planète Terre au bord du trou noir (peuplée) rencontrerait autre forme de vie pour suivre nouvel orbite et plus si affinités
Pas sérieux s'abstenir


Petite annonce contenant recette du bonheur et contenue dans bouteille lâchée dans le cosmos appelle esprit ivrogne dans vie antérieure


Futur antérieur cherche conditionnel passé 2ème forme pour relation infinitive et plus que parfaite, verbe défectif bienvenu. Particpation aux frais de déplacements des suffixes possible.


Pute de campagne en fin de carrière opère tarifs promotionnels cause infections sexuelles superficielles
Ecrire à la gazette, qui transmettra quand même


Couple gros insectes au dards très développés cherche mouches à enculer (cloportes, doryphores acceptés)


Etat malade avancé cherche à reculer les limites de l'absurde pour mieux sauter chacun de ses ressortissants


Monsieur 69 ans T B éducation, mœurs irréprochables, gros porte feuille, propriétaire arrivé cherche Dame dépensière, austère, autoritaire pour prise en charge domestiques désœuvrés


Femme politique à la langue de pute cherche chef d'état à la langue de bois pour langoureux baisers de crécelle


Etat malade télévisé cherche salades pleines de vers pour diffusion poésie totalitaire


Etats déjà réunis cherchent petits états isolés sans défense


Coq en pâte cherche aube en gelée pour chant cristallin apéritif

S’achève le temps - propos d’enfants



Quand le temps passe près de nous on grandit grâce à lui
Il est toujours partout mais parfois il est quelque part
Si on veut on peut le tuer, mais comment ?
Si on veut on peut le gagner mais il en faut pour tout le monde
Le temps ne peut pas mourir car après lui un autre arrive, vite, vite, un autre temps….
Si j’aime j’ai toujours le temps mais des fois oui des fois non
Le temps est dans l’aiguille, le ciel et la philosophie
Le temps le tient-on dans les mains, le touche-t-on, file-t-il vraiment entre les mains ou reste-t-il prisonnier dans la pendule ?
Quand je dors fort, j’arrive en retard
Le temps passe plus vite pour les enfants que pour les adultes : ils l’entendent passer avec l’électricité du réveil et le bruit des aiguilles
Les adultes ont des réveils à aiguilles transparentes, des chiffres carrés, chez eux le temps ne passe donc pas
Ils ne peuvent pas lire l’heure
Mon père est un réveil ; pour savoir l’heure je regarde maman
Le temps ne passe pas dans le même sens voilà pourquoi on peut voir des dinosaures
Quand il passe doucement il s’arrête mais après il repart
Nous les êtres humains le temps s’arrête mais continue quand nous ne sommes pas sur terre
On oublie le visage et l’on oublie la voix
L’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie… entre les mots entre les lignes et sous le phare d’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit… tout s’évanouit
On ne sait pas l’attraper et sans cesse on le perd
C’est très bien dur le temps, les parents le disent qu’il est dur, qu’ils sont durs
Même au singulier il prend des S
Je veux passer une robe aux couleurs du temps : transparente
C’est une robe qui est dans un livre : qui dure toute une saison alors on la mesure
En tous cas c’était mieux avant la vie, avant dans les ventres
Quand j’étais petit j’ai fait presque le tour du monde : en mille ans et je comptais les heures
Il ne me fait pas peur car je vais plus vite que lui j’ai pas peur même s’il va plus vite qu’une flèche, à fond la caisse
Le temps c’est quand, le temps c’est maintenant

Humain sine qua non


Amasse tant que Veux
tu ne pourras pas te payer la Valeur humaine
sans crainte ni désir
Change ton chemin retourne à la chaleur humaine
Tu ne sauras pas
te détourner de la question humaine
un trou peut en cacher un autre
qui vient répandre l'humaine Lumière

Actionne tant que Veux
tu ne pourras pas miser sur la Valeur humaine
sans crainte ni désir
tu avances dans les rues de clin d’œil en humain
Tu ne sauras plus
te passer du propre de l’humain
un fou peut en cracher un autre
qui souffle la bienveillance sur tes paupières

Déracine tant que Veux
tu ne pourras pas te taper la Nature humaine
sans crainte ni désir
Ignore le Vent futur ou la mémoire humaine
Tu ne voudras plus
de toutes façons te rappeler les horreurs humaines
Un souvenir demeure de chaque geste
qui restera gravé dans les années lumière

Efface tant que Veux
de la carte les restes humains
sans crainte ni désir
Tu ne manqueras pas d'encore croiser l'humain
Tu ne voudras plus
le connaître en ton âme inhumaine
Son souffle en ravira un autre
qui vient de naître à la lumière

Je lève mon verre



1



Je lève mon verre
La particularité de ce verre tient dans la courbe de sa coupe. A digestif, petit sur patte, il fut conçu au Portugal pour les gens ayant un minimum de savoir vivre, tous alcooliques. Les ceux à gros pif plus précisément. Le goulot, une fois le verre posé sur la table, voyez, est tout à fait oblique. D’un haut vers le bas, une coupe non horizontale, de telle sorte que lorsque, bientôt sur le point de devoir le remplir à nouveau, joie de l’ultime gorgée bourrée d’éthyle, vous l’élevez, tête penchée, aux narines, votre pif n’est plus une gêne et ne bute pas contre le rebord. Il vient comme entrer dedans le verre. Cochon, tu t’rues dans ton vice.


A la terre je le lève
La particularité de cette terre étant qu’elle n’ait donné de nom à aucun de nos jours de la semaine. Des jours de lune, de Mars, de Mercure, de Jupiter, de Vénus, de Saturne, du Soleil mais point de notre si proche et chère Terre. Point de Terdi.
A l’appel, autrement, manque aussi Uranus. Pas d’Uradi qui tienne, ni de neuvième jour. Qu’en aurions-nous d’ailleurs fait ? Certain que sur cette terre, dans la balance aurait penché une évidente occasion de faire trimer plus et encore. Le neuvième jour c’est plein le cul qu’on bosse.



Je le lève et observe la petite quantité d’eau de vie, traversée par la lumière de l’ampoule au plafond. Clignant le regard, est révélée la propriété salutaire du jeu. Dans le peu de prisme d’un reste de bagaço portugais, dans le bar de cette tête, on saisit si l’on s’y penche, qu’on n’a rien à glander d’autre, la propriété bénéfique du peu de quantité que la lumière affleure. Ode à la quotte part.



Je lève un verre à Jeanne Moreau et Brigitte Fontaine car elles ne sont pas mortes et je suis français. Ce sont de nos chanteuses qui dans mon cœur sont. Voix de la gravité, mélodies de la dérision, tendres fatales elles sont de l’Histoire et du fantasme de notre Histoire. Ni importantes, ni femmes éternelles, mieux elles sont essentielles le temps que l’existence les écoute minutieusement. A ces chansons lentes, il semblerait que mon verre aurait comme l’envie d’être basardé direct scratché au mur à la russe ; car tant que j’ai, dans cette pièce, au cœur de ce bar, la joie de boire et d’entendre Brigitte et Jeanne, il s’avère que le monde est fini et décidément beau.



Il en va comme des étoiles dans le ciel : c’est en petite quantité qu’un ciel s’observe. Perte de temps que d’embrasser d’un coup. Illusoire. Présomptuosité. Présomption d’arrogance soudain tombe sur vous. Le simple petit espace entre les 4 étoiles de telles prétendues constellations aura raison de toute ma vie puisque c’est de soi qu’un écrit parle.



Puisqu’elles sont mortes ou bientôt mortes que je suis français, je regarde les étoiles un peu suspect. J’ai bien compris ce petit jeu qu’une vie passée à croiser furtivement des regards est une vie vide de sens. Il faut s’arrêter, opter pour la capture de regards concentrés. Aiguiser le sien et s’ancrer à celui des autres. Avec insistance, acharnement, s’exercer à un échange profond, patient, fixe des regards. De même s’arrêter et scruter entre les 4 étoiles serrées la portion de profondeur qui s’offre à l’imagination, car de Vérité en les yeux, l’apparition est conditionnée par le peu de quantité qu’elle s’emploie à questionner.



L’on comprendra alors que je lève mon verre à l’autre de mes folies



On me ressert, soudain que j’hurle qui c’est qui me ressert ?
Empli de nouveau, j’hurle derechef stop stop stop je hais que l’on me serve de grandes quantités. Il me faut 45 minutes environ pour absorber tout un centilitre à partir de 52 degrés. L’eau de vie il me la faut transparente mais volontiers verte ; l’ocre ambré peut candidater, les Chartreuses invitées, les irlandaises les bourguignonnes les portugaises les ukrainiennes le sont aussi. Pourvu que quelques gouttes, humectées, portées sur les muqueuses s’ébahissent amplement dans la gueule parfumée, là à l’intérieur du palais, suffisent.



Aux cieux je lève la tête aux yeux clos parce que toutes les chanteuses françaises sont des cloportes et les mannequins des magazines Elle et autres Madame des rats de rivière. J’hume en ce monde aux yeux clos, aux possibles ouvrés, un arrière goût de magie infinie. Y’a comme un blème de compréhension que l’humanité se rend pas compte qu’il s’agit pas de comprendre. Qu’il s’agit au contraire de faire, créer sans cesse, dans l’espoir de révéler. Inventer, présentement, la vie.



A ces cieux innombrablement possibles donc en ce soir imbibé et libre je lève un verre les lèvres tranquilles et sauvées. Maudites. D’elles s’échapperaient bien des pensées à voix haute, des pensées à voix basse, des pensées à voix tièdes qu’alors si elles se chantaient passeraient à toute blinde pour des sauvages. Brutes et radicalement irrémédiablement obsédées par les choses des trous noirs elles feront dire –les pensées- aux lèvres les insanes 4 Vérités, les mille autres bonnes et les qui rendent inconsolables. A ces cieux un peu brumeux fumeux plutôt, le verre et la lèvre paisible sortiront des gonds de leurs portes. L’incompréhension demeure.
                                                                    


C’est un monde cruel : buvons 
C’est un grand bonheur : buvons 
C’est parfaitement injuste : buvons
ou immoral 
c’est un amour désespérément perdu : buvons
Insoluble, inadmissible, hilarant, buvons



Bon, semble pas qu’on puisse voir grand-chose de bien excitant a priori entre ces 4 étoiles ; illusion d’une proximité entre elles. Et quoique loin de toute lumière des villes, et quoiqu’allongé dans la verdure et voué tout entier à la télescopie de ma petite pièce de ciel, c’est clair il ne se passera rien. Tu perds ton pauvre temps.

Mais c’est pourtant bien armé de mes seuls yeux nus soyons-en persuadés qu’à l’Homme apparaîtra soudain l’invention du monde.



Avec l’effondrement de tes repères.
Au commencement est l’oubli du savoir.
Désencombrement des quotidiens passés.
Déstructuration totale mentale.
S’agisse d’inventer l’arrière grammaire ou le futur presque parfait.



Mes yeux expriment carrément, en cet instant, un présent plus que défait, l’heure est tardive, les chansons coulent dans l’air à flot ; nulle part ne passe en même temps ;
bref les pays sont peuplés, sont loin dans d’autres vies, cerné que nous voilà de milliards d’individus-lumières ; l’âge passe, j’y bois mon dernier j’enlève la dernière larme j’y lave mon verre il faut dormir



Semble bien qu’on puisse d’un seul jet d’un même geste et résumer le monde et se tromper sur lui. Faux total faux total à côté H.S.


Depuis tout petit, je suis prié de faire des efforts je suis prié de me taire davantage je suis prié de chanter encore et de créer toujours je suis prié d’approfondir prié de ne plus recommencer et de bavarder moins. Voilà comment l’on fit de moi un élève tout puissant, sans cesse à me prier. A l’entonnoir l’on nous éloigne d’apprendre, faux préceptes, fallacieux arguments dès tout petit du pouvoir que les supérieurs veulent conserver ; par voie de conséquence la proposition est de toujours davantage se laisser gaver, d’emmagasiner, d’obéir

Tandis que de son côté, salutairement, la conscience prépare l’expulsion salvatrice et la crache bientôt à la face de l’Auteur autoproclamé.



Alors, prié d’être un peu plus clair dans mes démonstrations, dans le propos, voilà ce qu’il faudra alors plutôt simplement dire :

2



Les millénaires apportent toutes les questions, les entraînent à se complexifier tandis que les millénaires n’ont en rien apporté grand sagesse. De la langue primaire à la langue sms nous irons repasser. Toujours plus abouties la linguistique, la mathématique, la technologie de pointe, la nanoscience vont bientôt enfin commencer à inventer la roue et à savoir compter. L’Humanité à se connaître et savoir vivre, Une.



Car en Vérité toute relative, je le révèle : 1+1=0 (ça, c’est dit… on ne l’aura pas volé)



Démonstration démente :

Pensons-nous qu’il soit vraiment possible -réellement sérieux- d’inventer, de postuler –à l’observation de la réalité- 2 unités distinctes qui soient parfaitement identiques ou soi-disant ou admettons de même nature ?
2 unités d’un même ensemble ? deux unités d’un même élément, deux unités d’un même …bâton… d’un même objet…d’un même photon…d’un même univers… ?

Cela est concevable et vrai dans un sens mais cela est impossible, soyons sérieux.
Le simple fait de l’existence de l’altérité et de l’individualité interdit de concevoir qu’on puisse additionner chacun. Du moins, on ne devrait pas prétendre (pensant les additionner) apposer (imposer) le signe « égalité » et croire que l’on a résolu une équation.
1 bâton plus un bâton n’est pas vraiment égal à 2 bâtons mais vraiment à zéro bâton indistinct.

Ceci est la démonstration pure, simple et fumante de ce qui nous attend : la découverte phénoménale, la compréhension fulgurante d’une immense ignorance et de lois quelque part jusque là amputées.

Ceci est la supputation que nous nous devons d’avoir : l’avenir nous dira que nous avions en grande partie non tort mais n’avions putain carrément pas vu certaines évidences.

C’est pourquoi il s’agit d’entrevoir n’importe quoi, de le formuler hasardement, de se tromper grave pour escompter comprendre les centaines de certitudes futures.



Ainsi :
1 plus 1 égale zéro
1 que j’ajoute à 1 égale aussi à zéro
1 additionné de 1 égale encore zéro
Et 1 et 1 enfin égale zéro


J’eurêkapitule : 0 = 2


J’ajoute ceci :
ni 0 ni 2 ne sont
Il n’y a qu’1



Quand à l’Egalité en France en 2010… on connaît tous la chanson : c’est comme la Fraternité ou la Liberté : un beau foutage de gueule.



Par contre, l’Union des individus, oui, fait la force. Car Arlette non plus n’est pas morte.

3



Lorsque j’étais encore fort malade –ça va mieux n’est-ce pas ?-,  j’étais convaincu de tas de choses à l’évidence démentes. Je ne voyais pas de médecin mais mes amis le disaient : nous craignons pour ta santé mentale.



Il est vrai qu’à plusieurs reprises ils me virent dans de véritables états de blocage avancé. J’entrai d’une minute à l’autre dans un état vraisemblablement inquiétant : soudain persuadé de détenir l’étrange pouvoir de sentir ou de « communiquer autrement ».
Obnubilé en fait –et cela pouvait durer d’une demi heure à 2-3 heures- par la certitude d’être passé sur un autre mode d’échange avec les autres. Je me vivais, je me savais au centre d’un jeu de regards apparemment troublés, accélérés. Mentalement, je passais à un stade d’analyse instantanée –croyais-je- de la situation… personne ne pouvait plus se permettre de mentir, je saisissais le fond des pensées, comme franchissant la barrière des regards, entrant, descendant dans le cerveau d’autrui.
Il y avait un dessous des cartes, un indéniable échange mental possible entre les êtres et la source de grandes Découvertes possibles pour les humains, pour peu qu’ils usassent de cette faculté d’aiguiser leurs regards en les fixant volontairement aux autres, histoire de voir ce qui pouvait se passer.


Il y avait en moi la conviction prétentieuse de pouvoir m’adresser à l’autre autrement.


C’est pourquoi je me dois de formuler, reformuler encore, verbaliser ces états, rapporter ces expériences. A moi-même ils demeurent inexpliqués et aux autres inexplicables. Mais tout le monde s’en tape.



Il m’est par exemple arrivé d’entrer, vers 5h15 du matin, un dimanche, au 2ème étage d’un immeuble dont la porte était ouverte.

J’étais dans la rue, j’entends de la musique. Je gravis les marches, attiré par ce brouhaha musical et humain, là haut dans un appart’ lambda. Une fin de soirée de jeunes sans doute, moi-même sortant d’une soirée bien sympathique, bien vivante, bien imbibée, bien enfumée....

Je monte, j’entre –la porte de l’appartement est ouverte- je croise une première personne, un mec d’environ 23 ans et quelques, à qui je demande d’emblée « excuse moi tu aurais du feu ? ». Il bredouille quelques mots, à moitié interloqué, un peu sur la défensive, me donne du feu et m’interroge froncé.

Un autre s’avance, idem.

C’est une soirée de jeunes, à la fois louches ces jeunes, alcoolisés et sympas ces jeunes. J’entre un peu plus dans la pièce, ils se demandent tous qui je suis. Le locataire des lieux se précipite un peu, t’es qui, qu’est-ce que tu fais là ? Un autre au bout de quelques minutes me demande si je suis des keufs. A vrai dire il emploie un autre mot que police, que keufs, que poulets, un mot que je ne connais pas, sorte de verlan argotique banlieusard. Evidemment que non et mon allure joue en ma faveur j’ai rien d’un flic. Cependant je suis là et je les regarde tous avec tant d’insistance, je parcours assez fébrilement du regard –qu’à mon avis j’ai défait- chaque membre de l’assistance, qu’il se peut que je sois un indic, des RG...  2-3 pétards tournent faut dire.

La seule fille présente a un petit bébé d’environ 8 mois dans les bras.

Il y a du hip hop en fond sonore, il y a un certain calme et une dose d’excitation dans l’air. Je ne suis pas en terrain connu ça m’exalte : un groupe de jeunes type banlieue, type fumeurs de joints, type normal d’une certaine catégorie. Bref, un groupe de jeunes a priori cool mais d’une classe qui socialement sans doute galère. Je me sens plutôt proche d’eux tout en me constatant très vite décalé, d’un look ringard..

Le ton monte chez certains à qui, plutôt que de m’adresser clairement, je lance des regards fixes, interrogateurs, séducteurs, déstabilisants.

Je réussis tout de même à clamer  je me sens bien, que je suis heureux d’être là avec vous, comme s’ils m’avaient invités et se souciaient du bien-être d’un inconnu débarqué dans la nuit. Certains sont plutôt cordiaux et me proposent un verre de pastis, voyant bien que j’ai rien d’un indic. Mais en moi-même je commence à me demander qui je suis en vérité et pourquoi je suis là, parmi cette dizaine de gars plutôt branchés bagarre ou jeu viril que partouze gay décomplexée.

L’un d’entre eux se met soudain à slamer au cœur de l’appartement, sur une bande musicale hip hop. Le bougre a un talent fou. Il improvise un flot. Des mots justes, rythmés, bien trouvés, bien agencés, un sens du rythme évident, cela coule, il le fait au centre de cette pièce centrale avec une aisance, une douceur, un engagement corporels qui m’émeuvent particulièrement.

Mon attention alors sur lui se pose, je m’appuie au mur, sirote mon pastis, décide de m’installer dans cette fin de soirée, tapotant du pied, oubliant les quelques ceux prêts à m’agresser et déjà si gentils. Je les ignore un peu et ne fais plus qu’écouter et mater ce jeune rebeu slameur d’un soir. Sa beauté est fulgurante, ses yeux pétillent, nous entrons direct en communication.

Tout en débitant son flot, ses yeux se mettent à s’attacher aux miens comme s’il ne s’adressait qu’à moi.

Je m’emplis d’amour, de douceur, soudain réconforté d’avoir trouvé un potentiel et véritable allié. La situation me ravit, me dévaste et à vrai dire me libère intégralement de je ne sais quoi.

Plus je le regarde et l’écoute, plus il avance dans son texte improvisé plus il me fascine. Je me rends alors compte qu’il est d’une grande et singulière beauté, à laquelle je n’eus pas forcément prêté attention en d’autres lieux et circonstances. En fait, c’est carrément mon type.

Ça cause, ça rit, ça échange dans l’assemblée, comme si je n’étais plus intrus, je suis là pourquoi pas après tout… On boit, on fume, on va de l’appart’ au couloir donnant sur la cage d’escalier, ça circule, ça tchatche. Je sais que certains bouillonnent encore du fait de ma présence ils en causent dans le couloir, j’entends des mots plus hauts que d’autres. Certains bloquent et demandent à tout va qui je suis, ce que je fous là, si quelqu’un du groupe me connaît.

Oui, je suis du quartier depuis 5 ans. De vue j’en connais quelques uns vaguement. Je me souviens avoir échangé quelques mots ou une cigarette dans la rue avec le locataire des lieux; plutôt un gars ouvert, bien que visiblement échaudé par sa bande et agacé par l’embrouille que je suis venu introduire chez lui, récent papa d’un garçon de 8 mois.

Mon slameur a fini de slamer et ne cesse de sourire, il respire la joie, la jeunesse, l’audace, la simplicité, la colère. Il me lance tout ça à la gueule et eut acté de même en mon absence. A l’évidence, je suis son spectateur le plus assidu. Il exprime un plaisir évident. Je le regarde, littéralement séduit et le lui dis soudain : tu es beau, qu’est-ce que t’es beau !

Je dis haut et fort aux 3-4 gars qui m’entourent et boivent tranquille un pastis : je l’aime ce mec, qu’est-ce qu’il est beau.

Stupéfaction, incompréhension…

Je le redis haut et fort : en fait je suis super heureux, d’être là avec vous. Je suis heureux. D’être venu. J’suis content en fait… je balbutie je me répète me parle à moi-même, les mots sortent de ma bouche sans que j’y réfléchisse. Je t’aime, comment t’appelles-tu ? Là, dans cet instant X, en ce lieu X avec ces individus X je suis heureux mais en danger. Je passe mon temps à demander à chacun entre 4 yeux : comment tu t’appelles ? C’est quoi ton prénom ? et toi, c’est comment ? Je suis Gena Rowlands dans le film Une femme sous influence, qui [séquence du repas des travailleurs épuisés au retour du chantier] demande à chacun, du bout de la table–avec cette douce et profonde folie-, (ce sont les collègues de son mari – Peter Falk)  What’s your name ? and you, what’s your name, et toi, beau gosse what’s your name…. ?
Jusqu’à ce que Peter Falk lance, colérique un « Shut up Mapple ! »


Ici, certains me répondent, d’autres commencent sérieusement à se chauffer, incrédules devant mon coming-out qui vient comme un cheveu dans la soupe, dans cette soirée de potes et cette culture peu enclines a priori à l’homophilie.

Personne ne comprend plus ce que je suis venu chercher.

Apparemment, je marmonne des mots à peine articulés, tout en regardant fixement tout le monde. Certains visages s’approchent de moi, viennent me parler à l’oreille sans que je bronche, comme détaché de la situation. Notamment, un certain « Arram » (c’est le prénom que j’ai cru comprendre après lui avoir demandé de le répéter, de l’épeler précisément….) s’intéresse à mon cas et ne cesse de me poser des questions : tu habites où, tu es qui, tu t’appelles comment, t’as pris des produits, ça va, qu’est-ce que tu veux, tu parles l’arabe ?  Puis parles-tu araméen ? tu parles araméen ? il insiste…..

J’entretiens avec lui un dialogue concentré et foutraque à la fois mêlé de respect, de méfiance, de confidence, de fraternité… comme si nous étions deux êtres d’une espèce différente mais deux âmes proches et similaires. Curieux et fascinés tous deux. C’est lui qui d’emblée me proposa un verre de pastis.

Mes silences à ses questions pressantes le déstabilisent ; je sens en ce lieu un sentiment de joie proche. Il réussit à me dire à un moment donné « moi aussi je suis heureux que tu sois là, sois le bienvenu ». Il dit à son pote je suis heureux que ce mec soit là, arrête de l’agresser, laisse le parler.

Je me sens soudain comme un messie possible, les visages se figent, le silence se fait. Arram se met à me sourire et à baisser le regard, en signe de respect à mon égard. Il me répète curieusement « sois le bienvenu ».

Pendant ce temps, en arrière plan, le jeune slameur à la beauté fulgurante m’observe, rit, s’amuse. Je sais que je le gêne ouvertement, l’ai ouvertement dragué et en quelque sorte humilié aux yeux des autres. Le ton monte.

Depuis le début, un gars paraît particulièrement chaud, prêt à me cogner, à mettre un terme à tout ça ; il est blond, la peau livide, quasi l’allure d’un albinos. Par moments il me crie dessus, me bouscule, me traîte de PD, me demande et me redemande : t’es PD, c’est ça ? Comme si je ne l’avais pas clairement énoncé tout à l’heure… je lui réponds des « et toi t’es sourd ? », «  ça te regarde ? », « oui et alors, quel rapport ? »… bref ça s’envenime, ça chauffe, ça tourne au bouillon….

Il est environ 6h40 du matin. Je m’assois sur une chaise, contre le mur, près de cette fille qui, toujours, porte son enfant, endormi, dans les bras. Du début elle a tout observé sans broncher, indifférente ou incrédule ou par trop occupée par le sommeil de l’Enfant?

Dans l’assemblée il y en a d’autres qui je pense n’ont rien capté de tout cela.

Assis près d’elle je la regarde souvent de profil, elle a de grands yeux verts ; ils se croisent sans se parler. Assis là je suis plus près et en face du slameur, dont je n’ai toujours pas compris le prénom. Il gesticule, sort, entre de la pièce, fuit, se chamaille, s’explique avec les autres… est amusé.

J’entends, dans le couloir qu’il se fait agresser c’est quoi ton problème ? t’es PD toi aussi, c’est ça ?

Vvers 7h, le locataire des lieux vient soudain vers moi, revenant de la cage d’escalier, il me prend entre 4 yeux maintenant tu te casses !


Tranquillement, excédé mais tranquillement il me répète 3 fois : tu te casses. C’est bon tu te casses.

Je me lève et formule plusieurs mots d’excuse désolé je n’ai pas voulu t’offenser, désolé je n’ai pas voulu déranger, ok, je m’en vais, pas de souci, merci pour ton accueil… désolé… 

Je sors de l’appartement, et fais un au revoir général, confus, blême…. Merci pour tout, au revoir, désolé….


Sur le pas de porte et sur le pallier je découvre comme une escorte : 4 gars qui m’attendent. Merde.

Je suis depuis 1 heure dans un vrai flip, persuadé de finir bastonné dans la cage. Voilà ça se présente. Je n’ose plus m’avancer, convaincu que cet alignement me force à m’avancer vers la rampe de l’escalier et qu’une seule issue est possible : ils vont me pousser par dessus la rambarde, du deuxième étage ou dans les escaliers. Du Hitchcock. Je suis dans un état de peur ; je m’arrête le dos au mur, 2 gars de chaque côté de moi dont 2 sont franchement énervés et crient casse toi putain sale pédale  je reçois soudain sur la mâchoire droite 2 coups de paume de main, assénés par le mec blond aux yeux rouges, décidément pas mon pote sur ce coup-là. Je le regarde, sévère mais tranquille, sans un mot. Je n’ai rien senti et je me la jouerais presque à tendre l’autre joue.

J’aperçois plus loin sur ma gauche le beau slameur qui déboule, visiblement tout émoustillé, hagard, fatigué par tout ça. Il se lève puis se rassoit, tout perturbé. Un autre à ma droite me bouscule et me dit allez dégage . Je leur réponds je bougerai pas, je sais que vous aller me pousser j’ai pas envie de mourir je ne suis pas venu pour vous emmerder c’est bon calmez vous on n’est pas des bêtes j’avancerai pas vous allez me pousser … j’entends  t’as peur pédale, de  quoi… ? barre toi… allez descends…. 

Quand enfin, le slameur (putain c’est quoi ton nom, dis-moi ton nom ?) se précipite sur la première marche de l’escalier, ouvre les bras, fait barrage à la meute, insultant l’un de ses potes au passage, me regarde et dit allez vas-y tu peux passer s’il te plaît

Sans me retourner et profondément ému je m’engage et dis
oui, maintenant, je sais que je peux partir

Je descends lentement, sans me retourner, les deux étages ; le bruit s’estompe, le calme est revenu ; je sors dans la rue ; le silence de l’aube. Je rentre chez moi. M’endors.







Aujourd’hui, j’en rêve toujours mais ne l’ai jamais revu le slameur


















Textes mis en musique (autrement dit, des chansons par monsieur moi...)

ICI:

RêVOLePTiK - chansons

Manque une case


Il faut dire que ce soir-là, le mistral étourdissant avait chassé du ciel noir toute impureté. Limpide, l’épais fond d’écran, parsemé d’étoiles parfois éblouissantes se tenait là juste au-dessus de nos têtes comme à portée de main, d’index et de pouce.

Les cyprès dans le jardin -ils étaient cinq- fouettaient violemment l’air, dansaient ardemment dans la pénombre, noyés dans un vacarme froissé. Ils rappelaient l’alignement de peupliers bordant d’un seul côté la petite nationale reliant la bourgade d’Aire sur la Lys et quelques villages au sud. Élégante et géante, cette cinquantaine de silhouettes fines et  majestueuses d’hommes respectables, m’avait toujours plue, poignée de plumes brunes posée dans l’encrier de la large plaine. L’enfilade de hauts arbres noblement vêtus, –dans le sud de la France, ce sont plutôt les platanes plantés sous Louis XIV- caressait aussi le ciel, sans cesse, changeant. Et le caressant, me donna souvent grand plaisir.

Ce soir-là fut si venteux et froid que la peur nous monta au ventre.
Que tout s’écroulât, que le châtaignier soudain renversé s’affaissât sur notre toit, que proche, la fin n’eût pas même le temps de s’annoncer. Une de ces peurs idiotes mais dramatique et incontrôlable, savamment orchestrée, implacable et musicale. Je rentrai dans le Mas rassurant. Les pierres semblaient pouvoir résister à telle tempête. L’insert de la cheminée carburait mais la température des pièces peinait à atteindre les 16° tant les rafales frigorifiaient la toiture.

J’allai dans la salle de bain, me trouvant le teint bien blême, le fond de l’œil rougi, fébrile.  Sévèrement enrhumé depuis la veille, sous les quatre couches de vêtement, la gorge commençait à picoter; du nez s’écoulaient les minuscules cascades froides, incessantes, énervantes. Dans le miroir, j’observai en souriant la buée chaude s’échapper de la bouche. Chaude, fuyant les égouts. Je ne réussissais pas à faire de ronds avec.

Le contexte général aussi était à la peur, qui contaminait insidieusement le quotidien. Bêtement, parce que nous en avions vu régulièrement des images affolantes, les rues de nos villages intérieurs s’inondaient, les piliers des bâtisses s’effondraient, les cris sourds et tremblants jaillissaient de quelques ruines et des démons de la mémoire et l’on avait tôt fait de croire que le trolleybus de 11h se prendrait la voiture piégée de plein fouet et que des gens de couleur ou de race indésirable n’auraient plus droit d’y monter.

Ce soir-là pouvait bien devenir important puisque potentiellement le dernier.
Il le devint car je pris une décision : de ce jour je ne laisserais plus s’enfuir les souvenirs.

à qui la faute (1ère partie)


Stéphane Appourchaux





À qui la faute





Mon chat c’est un bouffard, il pense qu’a dormir, ronrrronner, rentrer, sortir, mioler et toujours quémandé ces croquette . a la fin même si je l’aime beaucoup il termine par agasser, je lui dis comme sa : t’as qu’a aller au turbin toi même t’aura ta gammelle, bouffard. La prochaine fois j’en prend plus elle repete ma mère tout le temps, j’préfére les chiens. Pis un chat c pas fait pour être frapé ma petite sœur elle le rtourne tout l’temps elle lui fait des misères alors ma mère elle lui cri dessus j’en ai marre de l’ambience pourri a la maison. Fo dire ma sœur, Adèle, son truc c de crié car elle veut etre chanteuse, comme l’autre qui s’appelle comme elle. Je vais plus jamais dans sa chambre rose, a chaque fois si c pour entendre les tubes des gueulardes qu’elle met en boucle a fond je supporte pas. Quand elle est né déjà elle s’arrêté plus de gueuler, mon pere il était persuadé qui avait un problème et la psychiatre pour enfant aussi mais ma mère elle voulait pas l’entendre ; ma mère je crois en voulait un peu à mon pére parce que Adèle c pas le prénom qu’elle aurait choisie, elle voulait l’appeler Céline (mais là mon pére ne voulait pas à cause d’un écrivain nasi), ou Lara (mais mon père heureusement il a réagi que notre nom de famille c Deschamps, alors…), ou alors Whitney mais persone à la maison savait comment ça s’écrivait et pis whitney deschamps ça sonnait pas vraiment. Alors moi j’ai dit Adèle et là ils se sont regardé… je me souviens parce qu’on me l’a raconté – j’ai 8 ans bientot 9- que mon père a expliqué qu’il fallait m’écouté et qu’après tout pourquoi se serait les parents qui choisissent alors qu’y a aussi les autre enfants dans la famille que c important de les prendre en conte. Pour une fois ils ont été un peu daccord, Adèle Deschamps c beau, simple et ça fait bien française, elle aura pas trop de problème pour les travails. Elle est drole Adèle quand même et gentille y’a que le chat elle en avait peur toute petite et le chat aussi il la supportait pas alors entre eux ça jamais été le grant amour. Des fois sa va encore le chat il vient dormir sur le canapé et il se cale toucontre nous et même sur Adèle pendant qu’elle fait ses déssins mais au bout dun moment elle sans rend comte qu’il est là tout pré et là d’un coup elle lui fourre un coup de feutre dans l’oréille et le chat, putain, il fait un bon de fou ; moi sam’ fait rire mais ma mére pas trop. C vrai pourquoi y’a toujour des cris dans cet baraque ? moi j’aime pluto être calme, faire des grants puzzle, écrire des poesies, regarder les animaux a la télé, joué avec les miens qui sont en plastic, les films de voyage et d’afrique. Y’a pas mieux que quant je suis tout seul dans ma chambre ; j’ouvre la fen^tre j’écoute les oisaux voler, je regarde a la loupe les insectes comme les fourmi à la queue le le, les pince-oreille, les mouches quand elle se montent dessus ; ce que je préfére le mieux c quant je trouve dans le champ une salamandre dorée mais y’en a de moinz en moins je sais pas pourquoi, comme les doriforts on n’en voit plus tro. Les salamandres j’ai lu dans un livre que dans « l’antiquité grecque » ça voulait dire que c’était une bête qui habitait dans le feu et c vrai que moi j’ai toujour trouvé qu’elle me faisait pensé aux feux avec ses taches oranges jaunes et ça façon de bougé vite en restant imobile. Les oisaux c fou comment ça vole je suis sur que je devais être un oisau dans mes autres vies parce que je rêve trop souvent que je vole et ça je comprend pas pourquoi j’y arrive pas le jour alors que c si facile la nuit ; ou alors je devais etre un hibou, une chouette, un truc de la nuit comme les chauve souries. Parfois je reste debout pendant tout la nuit parce que j’espère que je vais pouvoir voir un hibou c mon rêve, ça… du coup c dur de se reveillé le matin pour l’école mais bon je raconte que j’ai été un peu malade et que c pas ma phote.











Je m’appelle Alex Deschamps, j’ai 50 ans. Je suis né au nord de la Loire, dans la France profonde, j’y ai grandi dans une famille simple, modeste, normale. Mon père est mort à l’âge de 50 ans, j’en avais 24, Adèle 19, maman 50. C’était en 2015. J’étais alors en fin d’études de Fac de Sciences. Zootechnie, c’était ma spécialité. Je voulais commencer par travailler dans les zoos. J’ignore encore si, au pluriel,  on met un « s » au mot zoo. Il me faut toujours vérifier dans un dictionnaire.

Quand mon père est mort, ce premier avril-là, ce fut la sévère dégringolade pour tout le monde et personne (nous, la famille proche tout comme les amis, les collègues, les voisins…) ne s’en est au fond vraiment remis car mon père c’était vraiment quelqu’un, aimé de tous, calme, respectueux, respirant l’intelligence, qui s’était toujours coupé en quatre pour ses enfants. Il aimait sans doute profondément sa femme, malgré d’apparentes relations glaciales, une certaine tendance à réprimer son côté tendre, à exprimer ses sentiments. Une évidente tendance dépressive, cause qu’il avait trop lu dans sa vie ; sans doute trop intelligent, trop sensible, trop idéaliste. Et il n’en pouvait surtout plus de cette époque où souhaits de bonne année rimaient avec anniversaire des massacres des innocents à Paris, où les bombes et les humains sautaient de partout sur la planète, où le trafic d’armes était plus fou et international que jamais, où les prétendues politiques étaient menées sous le joug féroce du monde financier et dans une hypocrisie généralisée, grimpante. Une époque de mépris total de la grandeur humaine et de la beauté des civilisations. Mais les raisons véritables de son suicide me restent inconnues.

Brutal fut le choc de son suicide car à l’évidence il nous aimait, s’occupait de nous, peut-être trop à s’oublier lui-même, quoique de nature plutôt souriante. Il ne travaillait plus depuis plus de cinq ans mais tant bien que mal il réussissait (maman faisant aussi des ménages) à joindre les deux bouts.

Suite à de longues années de pleurs, d’incompréhension où tout me semblait fou, ingérable et pesant à la fin, un anticyclone de silence, avec le départ d’Adèle  en 2018, s’est durablement installé à la maison, que maman habitait désormais seule.





Les études je lui dois de les avoir menées, de 19 à 24 ans. Il m’y a toujours incité, papa. Comme s’il avait attendu la fin de mon parcours universitaire pour quitter ce monde… Sans lui et son désir tenace de me voir réussir à « être quelqu’un », suite à une scolarité minable en primaire pour cause d’immaturité flagrante, je serais resté cancre et débile mental. Les années collège m’ont lentement mis sur le chemin de l’aptitude, de l’intérêt pour les autres et particulièrement pour la Nature, qu’on voyait dépérir au fil des ans et de laquelle je me sentais si proche. À partir de 17 ans je devins même l’étudiant modèle, heureux d’apprendre, passionné par de nombreux domaines : la cosmologie, l’anatomie, les mathématiques, l’histoire des religions, la littérature, les documentaires, les langues et par dessous tout les animaux, les phénomènes de migration, de reproduction des espèces, le soin animal, l’élevage, les menaces de disparition. Mes études à Paris ont été passionnantes, plutôt réussies, menées assidument bien que troublées dès la première année par une découverte enivrée de la sensualité et de la sexualité. Mes instincts parlaient d’eux mêmes, je me mis à chasser, à tester, à roder tard la nuit, avide d’expériences, tous sexes confondus. La bisexualité était à la mode, le porno banalisé et les occasions de consommer si nombreuses. Mais ma passion pour mes études scientifiques et « l’histoire naturelle » ne s’éteignirent pas pour autant. J’étais à tous égards en plein dedans. La constitution corporelle, le cinétisme, l’aérodynamisme des êtres vivants, la quadrupédie, la bipédie, l’instinct de survie et de reproduction me fascinaient. J’étais gourmand de connaissances.


J’ai récemment retrouvé quelques affaires personnelles que ma mère m’a rendues : des jouets, des dossiers, mon premier téléphone portable, des bulletins de classe de collège qui me rappellent ma timide et lente évolution vers le stade civilisé (« manque de concentration », « rêveur », « peut largement mieux faire », « trop juste », « des capacités », « trop de fautes d’orthographe », « s’applique, fait des progrès », « nets progrès cette année », « moyen », « élève curieux à tous points de vue », « encouragements »…), des dessins d’animaux imaginaires, de rosaces faites au compas, d’équations foireuses, des poèmes naïfs truffés d’images insensées, un journal intime sur disquette, des écrits divers tout tordus, barbouillés, illisibles, des boites de puzzle à n’en plus finir ; ma mère avait tout gardé et ne voulant plus stocker, elle m’appelle et me dit : Alex, viens me voir, il faut que je te parle et t’en profiteras enfin pour débarrasser la chambre et rembarquer tes fouffes…  c’est plein de fautes d’orthographes mais bon... Et la grange, il faudrait peut-être … que tu regardes à la grange.


Illico , je viens la voir.
Elle n’avait pas parlé de « la grange » depuis des lustres.





Depuis la mort de papa, non qu’elle soit devenue à proprement parler folle mais on peut sereinement, sans la déprécier ou la juger, reconnaître que ma mère n’a pas rebondi, s’est refugiée longtemps dans un déni de l’histoire. Là où le silence a longtemps régné et où la dépression aurait pu à jamais s’installer, surtout suite au départ d’Adèle en 2018, c’est une toute autre forme pathologique qui est apparue vers la soixantaine; comment la définir… ? Elle n’a jamais été suivie, refusant de payer des bonimenteurs psy payés à rien foutre pour écouter la misère mais certes pas la soigner. D’elle à moi, un point d’accord.

Disons que ce fut comme une logorrhée soudaine, une incontrôlable tendance moulin à parole, une euphorie sortie de nulle part du jour au lendemain, comme un robinet qui surgit d’un coup, en lieu et place du troisième oeil : sans doute l’incapacité à souffrir davantage le silence –ce qui au début me réjouit. Elle reparlait enfin… Les mots tus trop longtemps se mirent à dégueuler.

Subitement, ce furent des centaines de questions posées, répétées, souvent insignifiantes puis toujours quelque chose à faire remarquer sur tout et rien, sans qu’on sache s’il fallait répondre ou laisser couler. Un flot déroutant, délirant.

Puis, là encore du jour au lendemain, une neuve mais sincère attention portée aux autres, tous les autres, trop les autres. Irrationnelle. Elle se mit à sortir, s’inscrire à un tas d’activités, reprendre le goût de faire. N’avait plus aucun temps libre.

J’ai rarement vu une femme devenir en quelques mois aussi sociable et intégrée, aussi entourée, aussi amène, quasi une sainte.  Aujourd’hui, et depuis une dizaine d’années, elle est fort appréciée de son entourage alors que, quinquagénaire, elle vécut invisible et recluse, sauvage. Certains la croyaient également morte.





C’était alors – je venais la visiter le plus régulièrement possible mais de façon de plus en plus espacée faute d’échanges possibles et rongé que j’étais par le sentiment d’impuissance- une femme blême, livide, scotchée au poste de radio et à sa musique classique, sous médocs, jument assommée, paresseuse sur sa branche, une jeune vieille au bois dormant. De son regard transperçait un paysage lacustre étrange, on entendait vibrer en elle une musique freinée, sombre, ses mouvements étaient au ralenti, parfois elle dansait des sortes de chorégraphies aquatiques; elle me faisait penser aux hippocampes, aux poulpes, aux raies Manta…

Comme si les autres ne lui disaient rien, elle flottait dans une bulle d’existence grise, floue, détachée, vivant et évoluant dans sa maison en pointillé, faisant peu de bruit, à l’économie d’énergie, égrainant les jours de d’une respiration paradoxalement douce et atrocement altérée. Oui, elle était passée sous la ligne de flottaison, seiche solitaire.

Au point qu’il arrivait parfois qu’elle ne se souvenait pas des gens du monde terrestre, jusqu’à ma propre existence ou celle d’Adèle (qui ne donnait plus de nouvelles déjà depuis deux ans). A trois reprises, subrepticement, elle me vouvoya même. « Voulez-vous du café ? » puis, me tournant le dos aussitôt à la manière des poissons qui s’échappent, vite me préparait un café. Elle semblait recevoir, de-ci de-là, des décharges électriques.

Ce fut une période affreuse, impossible, stérile.

Tu voulais me voir, maman, tu as des choses à me dire, quelque chose à me demander ?

Alors, du silence pesant et lourd – nous sommes au nord de la Loire, il fait gris, c’est l’automne je bois mon café seul et ne sais plus trop quoi lui raconter- jaillissaient quelques torrents de paroles noyées. Toujours de dos, elle répondit :

Oui, Le café c’est très mauvais pour ta santé chéri et je n’ai pas dormi cette semaine. Je dois faire la piqûre, non ? Je suis vieille, non ? ça me fait quel âge ? Pourquoi pleut-il toujours autant ? Les musulmans ont commencé le ramdam, non ? (le ramadan, maman, pas le ramdam). Hier, j’ai soupé trois fois, je n’en peux plus.

Puis, se retournant :
Que c’est beau le classique, non ? C’est plus beau que les attentats. Oui, je voulais te dire, chéri… le chat a fugué, je le sens, peux-tu m’aider à le retrouver ? (Quel chat, maman ?) Je travaille dur, tu sais, la marée noire cette année est tellement horrible et j’y retourne demain à la première heure. Mes tabliers sont tout usés j’en voudrais de neufs, bleus, peux-tu m’en apporter la prochaine fois ?

Une légère éclaircie dans le ciel, orageux.

Tu voulais me parler, maman ? Sérieusement…
Tu veux que je m’occupe de la grange, c’est ça ?

Mais aussitôt, le retour des rivières gelées, d’un temps taciturne, d’un sol enneigé. Où chaque pas craque. Où des corps, au moment de nager, se cristallisent, pris au piège dans la glace. Où des nuages blancs, de plomb, semblent mimer du Satie. Seule la musique classique résonne, trouble, rompt, semble consoler. Silence radio.

Vous voulez un autre petit café, peut-être, avant de reprendre la route?






Évidemment, heureusement, cela a bien changé depuis.

Impossible aujourd’hui, dans sa ville, de traverser le quartier sans s’arrêter tous les dix mètres. Foule de personnes qui la saluent, à qui elle pose ses listes de questions toutes prêtes : alors les enfants, comment ça va ; et ce travail comment ça se passe, as-tu vu Georges cette semaine je m’inquiète car je ne l’ai pas croisé au marché mercredi, viendras-tu randonner dimanche, Maurice ; alors, que penses-tu de la situation Jean, c’est grave, non ? pourquoi n’ai-je pas pensé à t’appeler je ne savais pas que tu étais si malade, tu seras là cet été que fais-tu de tes vacances, est-ce qu’Olivier a toujours sa petite donzelle ce qu’elle est adorable et mignonne cette petite, est-ce que le boucher fermera à la rentrée finalement ou pas, est-ce que tu veux des sacs de vêtements, est-ce que tu as revendu la voiture, est-ce que tu as vu l’état lamentable de la plage cette fois-ci, on ne s’en sort pas, est-ce que tu participes au loto dimanche, est-ce que les travaux de voirie seront finis avant les fêtes …

Alors, la traverser, la ville, quand je suis là (ce qui au fil des ans devient moins rare, avec Armand), c’est promesse d’une promenade interminable où elle me présente à tous ces gens dont je suis censé me souvenir : mais si, c’est le beau frère de ta petite cousine voyons… désolé Francine, il ne se souvient pas de toi alors que bon c’est pas faute d’avoir été chez toi quand il était petit… mais si, Monsieur Mazet, celui de la petite maison à l’entrée de Saint-Maxime, Alex tu ne reconnais donc pas Geneviève… ?

Dis comme ça, aucun problème majeur à signaler, si ce n’est qu’elle redemande les mêmes choses le lendemain aux mêmes personnes, qu’elle mélange toutes les réponses, confond les noms et parfois les personnes (ce n’était pas Geneviève, c’était Françoise !), met certains dans des situations très délicates en fournissant des informations indésirables aux mauvaises personnes. 

Seulement voilà, personne ne peut rien lui reprocher car –depuis l’ouverture du robinet-, elle s’est beaucoup investie dans la vie de la ville, s’est rendue indispensable par sa grande disponibilité, ses multiples talents d’organisatrice et de préparatrice de fêtes ou d’actions caritatives (lotos, secours pop, téléthon, grand nettoyage des côtes lors des marées noires -devenues de plus en plus fréquentes en mer du nord…). Tout le monde semble bien l’aimer toute « bizarre et envahissante » soit-elle car, ici, on connaît bien sans s’octroyer le droit de l’aborder l’histoire malheureuse et fort triste de son mari suicidé dans la grange, de la disparition soudaine de sa fille Adèle et de son drogué de fils Alex.

De tout cela, elle ne parle jamais et reste sourde aux ponctuelles évocations des voisines.












Je n’ai revu Adèle qu’une seule fois depuis son départ aux Etats-Unis à 22 ans ; c’était peut-être légitime mais ce fut un autre coup très dur pour ma mère, trois ans seulement après le décès de papa. Elle est partie sans prévenir, juste en laissant un mot : « je pars aux Amériques, rêver ». Je lui en ai longtemps voulu. Non de son départ mais de son silence tant d’années durant. Je compris plus tard qu’elle avait davantage fui la présence d’un père parti que la présence d’une mère demeurée.

Elle avait donc toujours 5 ans de moins que moi lorsque nous nous sommes revus en 2031, pour mes 40 ans. Une belle fête mémorable passée à Paris dans mon grand appartement de la rue de Saint-Cloud. Adèle s’y était amusée comme une folle, avait séduit toute l’assemblée, avait poussé la chansonnette, un sarah Vaughan fort émouvant. Ma compagne, Julie, avait également été sous le charme et tout cela m’avait grandement réjoui. Adèle était devenue une femme magnifique, rayonnante, avec ce côté sombre qui la rendait fatale. C’était un cœur. Elle avait fini dans un lit avec deux de mes collègues du zoo, Laurence et Véronique. Bien amusées, apparemment.

Nous avions beaucoup échangé. Elle m’avait alors fait part de sa difficulté à rencontrer LA femme de sa vie, de son incapacité aussi à revoir notre mère avec laquelle elle n’avait cessé de se battre, impuissante elle aussi, suite au décès. Elle me raconta sa vie américaine, son implication environnementale, sa vie en communauté, sa participation à une chorale de lesbiennes, ses expériences chamaniques et sexuelles; nous avions beaucoup ri. Mais n’avions, une fois de plus, pas réussi à parler de papa. Au moment de partir, je réussis à lui faire promettre de passer voir notre mère avant de retourner aux Etats-Unis. Le temps comptait, non ?

Mais elle ne tint pas sa promesse.






Maman a 70 ans cette année, j’apprécierais tellement cette fois qu’Adèle fasse l’effort de venir à la fête prévue par les copines du bled. Mais pour le moment, pas de réponse. Elle semble bien heureuse là-bas.

Ses rares apparitions se font sur le réseau 3D, on l’y voit courir à cheval, de loin, accompagnée de cette nana dont elle est folle, qu’elle a épousée en 2036, une belle blonde un peu obèse, il semble qu’elles vivent dans la banlieue de San Francisco, sur un grand terrain vague dans un mobile home très spacieux… des installations « artistiques » jonchent leur terrain : armatures en fer forgé, bancs de trois mètres de haut, insectes gigantesques, tourniquets réaménagés en poulailler, pneus montés en mobiles…  Une immense structure circulaire en bois flotté et matos de récup’ « éco-responsable », est là pour accueillir des fêtes sonores psyché et des symposiums culturels alternatifs. Elles élèvent des chevaux. Elle m’envoie parfois un court hologramme destiné à me donner un petit goût de là-bas et un concentré de news. Je crois comprendre aux dernières que sa femme a un casier judiciaire et ne pourra pas sortir du pays.

Je suis triste qu’elle n’ait jamais songé à m’inviter.












Mon fils… mon lapin, mon grand fou, mon adorable chaton, s’appelle Armand. Sa mère, Julie, voulait un prénom ancien genre Théodore ou Alphonse… Je m’y suis décidé fort tard à lui faire un enfant. J’avais 43 ans, Julie 40. J’en étais incapable avant. Il n’a que 7 ans, je l’ai tous les quinze jours. Julie et moi nous entendons à merveille mais ne sommes plus amoureux ; à qui la faute ? Le temps…

Je crois bien que c’est que cette année là, 2034, que maman a « rouvert le robinet » quelques mois après la naissance d’Armand. Cela lui a procuré un retour de joie. Un déclic salvateur.

Elle le couvre de cadeaux, sans cesse. Vêtements chipés en douce au secours pop, crayons de couleurs, jouets improbables, cartouches d’encre, des objets bizarres, inutiles, des livres éducatifs pas du tout de son âge, du siècle dernier ou loin de ses centres d’intérêt (L’Amocco Cadiz en images, la Révolution française, la cuisine indienne, Le Roman de la rose, Le vieil homme et la mer…), des gants des pullovers des écharpes tricotés. Elle réclame de le voir au moins une fois par mois mais ce n’est clairement pas possible ; Julie a fait bien des efforts au début, mais aujourd’hui ne la supporte plus. Trop de mal avec « elle ». Et puis officiellement nous ne sommes plus ensemble.

C’est donc lors de mes gardes que je lui rends parfois visite en tentant, quand c’est possible, de rester dormir une nuit ; à la maison rien n’a vraiment changé. Ma chambre d’ado est quasi telle quelle, avec mon lit, mon secrétaire, mes boites de puzzle, mes tas de cassettes enregistrées, mes livres, mes livres, mes livres, mes revues rock, mes cartons de choses enfantines, quelques fringues encore, mes moutons, mes girafes, mes phasmes, mes mantes, mes éléphants, mes léopards,  mes mufles … en plastique.

Je suis ébahi de voir à quel point Armand discute, commente, interroge ; là où j’étais si taciturne et solitaire à son âge. J’ai repeint les murs, remis un peu d’ordre, jeté mes revues et quelques livres, conservant ceux qui intéresseraient sans doute bientôt mon fils. Armand y passe tout son temps, c’est un enfant bigrement joyeux, beau, dynamique, intéressant, curieux, imaginatif, - intelligent comme son grand-père a réussi à murmurer ma mère, un soir avant d’aller dormir.

Il faut dire que les écoles primaires d’aujourd’hui favorisent un éveil précoce, présentent parfois une grande qualité d’ouverture au monde, d’échanges à tout-va, composées qu’elles sont d’enfants de toutes origines, fondées qu’elles sont sur une pédagogie alternative. J’aime beaucoup le maître d’école, sa bonhommie, son allure, son sourire, sa sévérité respectueuse et cette salle de classe chamarrée, circulaire, baroque mais parfaitement organisée. Place y est faite pour les dessins d’enfants, les cartographies, le tableau numérique et la platine vinyle et surtout le coin -à cheval sur l’intérieur et l’extérieur de la classe- des animaux : un lapin nain, un cochon d’inde, deux poules, un poulain, un élevage de vers à soie. C’est ce qui nous a décidé à y mettre Armand, qui rêve d’y introduire un élevage de salamandres.

J’ai quitté Paris il y a bien longtemps, j’avais peut-être flairé ce qui allait se passer. Ici, c’est une petite bourgade tranquille, heureuse et très animée. La grande cour d’école a vue sur les montagnes. Pas mal de commerces, d’associations, de lieux de vie, les rues le soir sont vivantes, le cinéma très fréquenté, la place publique et l’allée de grands platanes investies par divers projets tout au long de l’année, les séniors s’épanouissent, les jeunes ne se font visiblement pas chier, comme de mon temps. Les loyers y sont abordables, les maisons y ont du cachet, la vie politique et citoyenne, depuis plus de vingt ans, s’est organisée sur la prise de parole, le partage des savoirs, la responsabilité écologique. Qui aurait pu croire à l’époque de papa que la France serait un pays paisible dans les années 2040 ?
A l’entrée haute de la ville, trône, dans son architecture délirante, la « Station Gare » qui emploie beaucoup de gens. Innovant, ce complexe simple et efficace propose covoiturages, bus électriques, navettes personnalisées, rames ferroviaires et est envié aujourd’hui par beaucoup de villes de France; le chantier national des 100 stations gare éco, lancé en 2032 va enfin être inauguré d’ici à la fin de l’année. Chacun y propose ses créneaux, toutes les destinations sont possibles, le trafic est organisé bien en amont et régulé en direct, chacun y laisse son véhicule, nous sommes enfin passés à l’Action. Il est évidemment désormais interdit d’être seul au volant d’un véhicule. Et les anciennes voitures pétrole ont littéralement disparu. Nous ne sommes qu’à 45 minutes de la mégapole marseillaise qui compte à ce jour (chiffres de décembre 2040) 13 millions d’habitants. Pourtant, on y respire à nouveau tout en fait convenablement. Le trafic routier à l’entrée de Marseille demeure dense à certaines heures mais les voies électriques, les tramways, la ligne ferroviaire interrégionale doublée et les Postes-Gare ont peu à peu investi le paysage. L’affût massif de populations des années 20 à 25 qui a totalement bouleversé la démographie française (retour vers le campagnes et les côtes maritimes, exil de la région parisienne de plus de 60% des habitants) a vu Marseille devenir le lieu de toutes les convergences au début des années 30.


Je n’ai jamais réussi à me départir de l’autre époque et me souviens bien, avec combien de douleur, de ces années 2010-2020. Tout y semblait désespérant et après l’événement de 2015, je luttais régulièrement contre des envies suicidaires. Une lutte proche la folie. Tout me retenait apparemment en vie (mon premier boulot au zoo, mes jobs dans les clubs parisiens, ma mère à accompagner, mes nombreuses aventures amoureuses ou sexuelles, quelques amis proches, l’envie de revoir ma sœur, la brutale disparition de papa qui me commandait de résister…) mais il y avait au fond l’indomptable, récurrent et douloureux sentiment d’irréparable, d’inconsolable, d’un grand trop tard gravé en mon cœur, et aussi généralisé.

J’avais suivi les études à Paris, lieu de tous les possibles et de toutes les peurs en ces années de Terreur. C’était la débâcle, une débauche généralisée, une jeunesse perdue, sans travail, désabusée, incapable de s’inventer et de se libérer des affres de la consommation, sonnée aussi par la peur ambiante; au final salement droguée. Tous les potes et potesses se défonçaient, dès le vendredi soir arrivé. C’était la norme. Que ce soit dans la capitale ou en province, parfois à Berlin ou Budapest, je me mis à attendre frénétiquement les week-ends.

Du jour au lendemain, fin 2016, par un beau samedi soir de pleine lune, je tombai. J’étais à Budapest pour une semaine.

C’était l’époque des « legal hights », ces drogues chimiques dévastatrices dites légales car échappant aux contrôles des douanes, consommées à outrance en Europe et aux States, produites essentiellement en Chine à grandeur industrielle mais aussi dans des labos clandestins en Europe. Nous les trouvions sans peine sur le net, nous souciant bien peu d’en connaître la composition, du moment que ça nous déchirait.

Les trafiquants et producteurs réussissaient à échapper à l’interdiction en modifiant constamment les molécules composant la drogue. Ce n’était pas notre affaire, nous avions grandi en consommateur, c’était ancré dans nos façons de nous comporter, d’une façon totalement inconsciente et assumée. L’aquoibonisme était notre crédo, notre quotidien, comme d’autres furent soixante-huitards. Pour nous, c’était l’envolée directe, l’accès à l’euphorie à la carte. Montées, transes, jouissance, sexe en groupe, alcool en libre accès, insouciance, danse et nudité. Le bonheur à l ‘état pute.


Qu’avions-nous à faire des problèmes de l’Europe qui se mettaient à reconstruire les frontières et surtout qu’y pouvions-nous ?  La Hongrie, suite à la Macédoine, venait de décider de remonter un mur enceinte de 4 mètres de hauteur pour empêcher le flot incessant des migrants. Nous étions les héritiers d’un monde dévasté et au fond nous en voulions grandement à nos grands parents et parents, aux dirigeants, aux responsables politiques si mal nommés. Les « adultes », c’était essentiellement à nos yeux, un amas de gens pourris, démoralisants, fades, incultes, ravagés par l’appât du gain et l’individualisme barbare. Papa excepté.

L’Europe… éclaterait imminemment de partout. Nous nous préparions au retour d’une idéologie fascisante dans une certaine indifférence. Le doux et nécessaire rêve européen d’après guerre (mais nous, que savions-nous de cette guerre du siècle passé à part qu’elle servit à bombarder des villes, décima les juifs et atomisa le sol japonais etc …?) s’était lentement laissé gangréné par la financiarisation. La crise financière était consumée, le bordel ingérable généralisé, les bourses s’effondreraient bientôt et moi j’avais avec les amis l’irrépressible envie de me défoncer. Ce que je fis allègrement et sans relâche véritable de 2016 à 2020. Mon état n’était rien au regard de la situation critique mondiale mais lui était comparable en ceci qu’inconsciemment était en jeu un double processus individuel et collectif d’euphorie et d’autodestruction, qui gagnait nos corps comme tous les États. Nous sentions que quelque chose montait, et nous laissions emporter. Quelque chose d’imparable qui semblait concerner la Nature elle même, en proie à d’effroyables crises d’épilepsie. Océans en furie, séismes mensuels, cieux déchirés, terres asséchées et pôles enfiévrés. Cela alla grandissant en 2019, 2020 et 2021. Personne ne se doutait de ce qui allait se passer en 2022.





Ma mère mit, elle, longtemps à se rendre compte de mon état car bien que venant régulièrement la voir depuis le départ d’Adèle en 18, je vivais à Paris où je gagnais tant bien que mal ma vie en bossant dans des associations animalières, dans des pubs et clubs de nuit. Et quand elle feignit de comprendre que quelque chose ne tournait pas rond et me questionna un peu… je réussis à m’esquiver et à la rassurer un peu tout en reconnaissant que je supportais mal le suicide de papa et que c’était dur pour moi aussi. Tout cela m’épuisait. Elle vit bien que je souffrais mais ne réussit pas réellement à réagir, ne sut pas ce qu’elle pouvait ou devait faire et ne fit rien à part dire : tant que ne te drogues pas.

Je la voyais anesthésiée, détruite en son tréfonds et imaginais mal de lui infliger la vision de ma décadence, ignorant alors moi-même à quel point elle allait murir en une lente et douloureuse chute.

Fort heureusement assistée par quelques proches et ses frères, chacun percevait pourtant bien qu’elle refusait de toutes façons tout en bloc et qu’on ne pouvait pas grand chose pour elle. Elle se maintenait.

Au début de ma période drogue, Adèle habitait encore là-haut avec cette mère morose parfois excentrique, s’occupait des affaires de la maison, des courses, des paperasses… se prenait tout dans la gueule, et, pendant ce temps perdait un temps précieux à ne savoir que devenir, à n’entreprendre aucunes études, à n’avoir pas de projet concret ni de bagage sérieux, artiste dans l’âme qu’elle était. Je ne m’attardais jamais bien longtemps dans cette ambiance de crypte où je sentais qu’Adèle suffoquait à sa manière.

Jusqu’au jour où, épuisée à son tour, elle prit sa décision, tiraillée mais irrévocablement, de partir « rêver ».

















Le phénomène des NPS avait été symptomatique et marqua un tournant fort à la fin des années 10. Le nombre de décès dus aux « legal hights » fut si important entre 2015 et 2020 (estimé à plus d’un million de morts en occident) que la législation parvint finalement à interdire les produits NPS quelle qu’en soit la composition, une fois simplement avérée l’identification des produits en tant que psychotropes ouvertement commercialisés, oeuvrant manifestement à une altération des consciences. Ce qui au début était un phénomène connu des scientifiques, des milieux festifs (de Manchester à L.A., de Paris à Ibiza...) et des nombreuses familles touchées par la perte de leurs enfants, devint peu à peu –parce que phénomène massif et incontrôlable- un scandale international.  Tous les pays soupçonnés d’abriter des laboratoires (du grand groupe industriel aux petits labos clandestins) furent sommés d’agir et de mener une action en urgence, sous peine de sanctions économiques. La France comprise et plusieurs pays européens. Alors, aussi brutalement que cela était apparu dès 2007-2008, la production diminua à partir de 2019 et devint nulle en 21; on n’en trouvait quasiment plus en vente libre sur la toile (tous les sites où s’en procurer avaient été bloqués par la Cour Internationale des Droits de l’Homme et la Chine avait fini par prendre des mesures) ou uniquement à des prix inabordables dans les réseaux mafieux et dans les quelques rares grosses boites de nuits devenues quasi impénétrables. Les producteurs de ces Nouveaux Produits de Synthèse, comprenant que le jeu devenait trop dangereux, et ayant sans doute amassé suffisamment pour le restant de leurs jours disparurent tout bonnement -impunis, introuvables, intouchables, cachés quelque part à Hong-Kong, Pékin, à Delhi ou Bali ou quelque part dans la Nature,

qui elle, agonisait.






2016-2020 furent des années noires dont je ne pensais personnellement pas pouvoir sortir. Il me fallut passer par ces quatre petites années d’éclate totale, aveuglé et euphorique que j’étais, parsemées de périodes d’effroyable paranoïa et de descentes aux enfers pour prendre réellement conscience de l’addiction et de mes mécanismes morbides, quand commencèrent à disparaître de nos groupes « d’amis » certains visages que nous connaissions bien. D’abord anodin, le phénomène s’amplifia et sentant que le groupe s’effritait et partait en couille,  parfois dans d’étranges circonstances (situations délirantes, effusions de coups, bagarres incompréhensibles, comas ponctuels),  nous nous mîmes à discuter, confronter nos informations sur les produits et les disparitions des potes et baissâmes inconsciemment et progressivement notre consommation. La réalité nous rejoignit très vite en apprenant la mort d’un puis de deux amis… puis de dizaines de connaissances. Nous venions brutalement d’ouvrir les yeux et devions parallèlement faire face à d’atroces moments de manque.

Quatre ans pour retrouver un visage humain, quand j’y repense, c’est dingue…


Nous entrions dans l’ère d’une grande crise morale internationale, que le déchainement de la Nature accompagna et propulsa à son climax en 2022 …


A SUIVRE….