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BOUTEILLE
À LA MER
D’abord lyriques, pleines de certitudes qu’elles changeront le
monde, toutes nos pensées portent un sens si lourd que leurs retombées se
feront forcément bien entendre un jour ou l’autre, avec fracas et succès
D’abord ce vacarme qui fait dans l’esprit des ouragans de belles
et pures intentions
D’abord dans nos yeux de cyclone les foudres de la volonté, la
vitesse centrifuge des amours et des espoirs… la montée en puissance du désir
de conquêtes
Avec ce courage de cyclope, au début, le gigantisme de notre
existence est prêt à tout renverser
Votre plus grand plaisir, des années durant, consiste à faire
plaisir à votre entourage
Soirs de griserie, voyages en amoureux, manifestant dans les
rues, soirs espoirs, matins catins, nuits blanches et mondes refaits
On se languissait d’avance de votre présence aux occasions
festives : toujours un mot pour rire, un d’esprit, un bien senti, un
insolent et trois quatre volages
Écarquillant les yeux, tendant l’oreille à tous les murs,
goûtant à tous les mets, flirtant à tous les vents : rien n’avait plus
d’importance ou de beauté que de trouver en l’autre l’envie impérieuse de
partager
Cela prit beaucoup de temps et d’énergie
Ces emplois que nous tînmes, ces projet que nous eûmes, cette fougue
de folie tant et tant applaudie en société ; à l’époque on parlait moins encore
de vos bons mots que de vos excellentes actions, on admirait en vrac courage,
ténacité, rapidité, efficacité, tempérance, honnêteté, amabilité, serviabilité,
générosité et bien sûr gentillesse ; on louait vos paroles amènes, votre
esprit lucide et bienveillant ; voire on désirait votre corps, certains
s’y harnachaient des semaines entières et combien ont langui de vos
indifférences ?
Ce n’est pas peu dire qui vous brilliez
Puis
sans raison
sans que cela soit mal ou bien
voilà que se formule un beau jour dans la petite tête la
certitude plate et naïve mais indécrottable que rien rime à rien
Sûr, nous sommes seuls
On ne peut rien y faire, ça vient se poser là, comme la
prédiction d’une voyante qu’un pigeon viendra demain se poser sur la place
Saint Marc
on ne comprend pas cette impression de n’en plus pouvoir
de ne plus sentir
de ne pas savoir quoi
de jour en jour s’acquiert l’insoutenable conviction
l’affreux pressentiment
que les doux temps sont révolus
On réussit mal au fond, finalement, en fin de compte
et comment dire
à se contenter du lot de consolation : poser sa petite
pierre à l’édifice
Goutte après goutte, soleil après lune, on aura pourtant instillé
et savouré le bonheur, l’humour, la bonne action, la joie de vivre ; une insatiable
curiosité aura mené de l’Inde à l’Argentine, de village en village sur les
sentiers des Andes, des banlieues de Marseille à la pointe Finistère, du Gard
aux Antilles, du Nord à la mer rouge, de visage en visage à boire avidement de
bienfaisantes paroles
Et puis, si vous vous étiez mis à compter, balancer, dénombrer
chaque événement heureux, recenser dans le registre aux cent mille pages les
entrées et sorties de chacun des paysages, de chacun des pavés floués, joues
embrassées, cinémas fréquentés, odeurs connues, étrangetés rencontrées ou des
questions posées, vous sauriez et ne pourriez que dire, aujourd’hui, combien la
vie ne fit que vous combler
Un temps
qui
lentement
immanquablement
passait
en venant sécher chacune de ces gouttes…
passait à n’importe quel heure et sans prévenir juste pour vous
apporter une simple petite précision :
toute peine est perdue
Mélancolique
voilà l’étiquette alors
tu te la colles sur le flanc, sur le front, là où tu veux
que le temps et les gens te donnent peu à peu
Tu es un vilain petit flacon à l’horizontale ci-git parmi cent
mille étagères pleines à ras bord de bouteilles d’alcool tristes
un échantillon de sale petit mélancolique
D’un côté affublé d’un bouchon de liège, de l’autre d’un
cul : de part et d’autre, tu n’entends plus rien au monde extérieur, ne
comprends plus, ne pipes que dalle
rien n’entre : une case silence désespérée
derrière ses barreaux ludiques, un Jack récidiviste de Monopoly
Tout au plus en ton centre - bouteillette à l’océan,
brinqueballée par les flots- sous l’épaisseur du vieux verre vert, on apercevra
cette maquette délavée (un tantinet inutile, non ?) de caravelle
colombienne, que l’on trouvera jolie, pas si mal… ce cerveau dans son formol
mais qui sait
un jour tu échoueras avec tes mots sur une plage et l’on les
boira ?
Sur
ce, Marielle s’esclaffa :
rien
rime à rien… mmm… on ne peut plus riche rime…
Sûr, nous sommes seuls… mmm… très singulier,
ce pluriel…
Sommes-nous tous semblables ? à ressentir, de-ci de-là,
un abandon quasi absolu : quelques paroles vaguement vaines voguent hors
du silence, cheminent vers l’absence inexorable de réflexion, aucun mur ne
renvoie ni le son ni l’image, plus d’écho, aucune auge pour recevoir le miel,
l’onctueuse liqueur -qu’on rêve salvatrice- de la belle et grande âme
Bien évidemment qu’ils reviendront tes
espoirs…
bien évidemment qu’elles rejailliront tes
lueurs
–
Marielle veut vous convaincre
et il faut bien reconnaître qu’elle réussit sans peine, la
tendre et irrésistible amie de toujours, une fois de plus, à vous faire rire, à
vous faire entrevoir le ridicule de votre situation de geignant dedans sa
fictive bouteille
-ignoble créature d’un Occident en fin de vie, possédée par ce
mauvais goût de luxe de s’en sentir victime-
à vous arracher encore un de ces sourires par trop craquant
Difficile de lui avouer comme de le lui expliquer :
vous avez, vous et votre siècle, depuis quelque temps
cette incurable maladie
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