De l’émotion
Une nuit, je compris qu’il est
possible pour le corps de réguler son état, ses émotions. Mentalement, par le
souffle.
La veille, un vendredi soir, j’avais
clairement abusé mon corps en lui faisant absorber des surplus de
toxines : l’habituelle nicotine mais en dose compulsive – sitôt écrasée
l’une sitôt allumée l’autre-, un savoureux cocktail d’alcools : d’abord
une pinte de bière ambrée (histoire de se désaltérer pensai-je), puis -à partir
de 19H, l’heure plasticienne des vernissages bas de gamme de province- deux ou
trois gobelets d’un petit punch préparé sans doute avec amour mais aussi un
rhum de piètre qualité, puis une fois rentré à la maison quelques verres de
haut Médoc –en soi plutôt savoureux- lors d’un repas avec un proche que j’attendais,
tout mêlé d’impatience et d’appréhension.
À cette période pourtant, je me
nourrissais de nombreuses lectures plutôt saines, vouées à m’introduire au
vaste et passionnant monde de la bonne santé et de l’équilibre atteint,
perdu, retrouvé : manuels de médecine ayurvédique, revues de yoga, essais de
thérapeutes naturopathes, somatologues et autres hypnotiseurs radiesthésistes
magnétiseurs ; une série thématique qui théoriquement réveillerait le
chaman en moi, m’instruirait sur le déverrouillage de mes sept chakras,
m’apprendrait à mieux connaître « ma bête » et à retrouver l’esprit
des forêts du haut de mon quatorzième étage ; la bibliographie quasi
complète du fabuleux, lumineux, numineux et pragmatique Deepak Chopra dont
l’incontournable « Corps
quantique » me transportait totalement et ne cessera de me ravir…
Bref, en cette période, loin de moi l’idée de m’alcooliser
comme une pauvresse sur les trottoirs encombrés d’étudiants désargentés
constamment imbibés... Je rêvais plutôt de me repenser, de me découvrir autre,
de me mieux connaître, de pacifier le passé, de me bonifier au présent et de
m’instruire abondamment sur la réalité physique et quantique des quarks et des
trous noirs comme de mes propres vaisseaux sanguins.
Or, ce soir mémorable-là, un vendredi automnal de
vernissage piteux, j’avais réuni tous les ingrédients pour faire précisément
tout le contraire : fuir et m’intoxiquer ; fâcheuse tendance en nos
pays sécurisés devenus mornes et désœuvrés. Alors, vite assommé, j’avais sombré
lamentable et sans même m’en rendre compte dans les bras de Morphée, seul.
Cette nuit-là fut successivement comateuse et cotonneuse, cauchemardesque et
angoissante, surréaliste et féérique, calme et lumineuse.
On ne sait pas narrer la folle course de l’inconscient, on
ne peut pas partager les innombrables émotions de l’abracadabrant film des
rêves, on ne parvient jamais à mettre les mots justes, on est toujours bien en
deçà des épouvantables merveilles rencontrées dans les sommeils, qu’ils soient
profonds et de plomb, de plume ou d’enclume, courts, interminables ou
intemporels, agités et démoniaques, d’ange. L’imbrication des séquences,
l’architecture spiralée, l’abondance de
personnages forts en caractère, de silhouettes fugaces, de dialogues
succulents… font de nous les plus grands cinéastes que l’on puisse imaginer.
Curieux cinéaste qui ose tous les rebondissements, connait l’art des couleurs
et de l’inénarrable, se permet les violences les plus crues tout en ne sachant
ni comprenant rien aux actes de ses personnages ; triste cinéaste qui
n’aura jamais qu’un unique et chanceux spectateur à la mémoire bien
défaillante.
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