Nombre total de pages vues

mercredi 10 février 2016

De l'émotion


                   De l’émotion



            Une nuit, je compris qu’il est possible pour le corps de réguler son état, ses émotions. Mentalement, par le souffle.

            La veille, un vendredi soir, j’avais clairement abusé mon corps en lui faisant absorber des surplus de toxines : l’habituelle nicotine mais en dose compulsive – sitôt écrasée l’une sitôt allumée l’autre-, un savoureux cocktail d’alcools : d’abord une pinte de bière ambrée (histoire de se désaltérer pensai-je), puis -à partir de 19H, l’heure plasticienne des vernissages bas de gamme de province- deux ou trois gobelets d’un petit punch préparé sans doute avec amour mais aussi un rhum de piètre qualité, puis une fois rentré à la maison quelques verres de haut Médoc –en soi plutôt savoureux- lors d’un repas avec un proche que j’attendais, tout mêlé d’impatience et d’appréhension.

            À cette période pourtant, je me nourrissais de nombreuses lectures plutôt saines, vouées à m’introduire au vaste et passionnant monde de la bonne santé et de l’équilibre atteint, perdu, retrouvé : manuels de médecine ayurvédique, revues de yoga, essais de thérapeutes naturopathes, somatologues et autres hypnotiseurs radiesthésistes magnétiseurs ; une série thématique qui théoriquement réveillerait le chaman en moi, m’instruirait sur le déverrouillage de mes sept chakras, m’apprendrait à mieux connaître « ma bête » et à retrouver l’esprit des forêts du haut de mon quatorzième étage ; la bibliographie quasi complète du fabuleux, lumineux, numineux et pragmatique Deepak Chopra dont l’incontournable « Corps quantique » me transportait totalement et ne cessera de me ravir… 

Bref, en cette période, loin de moi l’idée de m’alcooliser comme une pauvresse sur les trottoirs encombrés d’étudiants désargentés constamment imbibés... Je rêvais plutôt de me repenser, de me découvrir autre, de me mieux connaître, de pacifier le passé, de me bonifier au présent et de m’instruire abondamment sur la réalité physique et quantique des quarks et des trous noirs comme de mes propres vaisseaux sanguins.

Or, ce soir mémorable-là, un vendredi automnal de vernissage piteux, j’avais réuni tous les ingrédients pour faire précisément tout le contraire : fuir et m’intoxiquer ; fâcheuse tendance en nos pays sécurisés devenus mornes et désœuvrés. Alors, vite assommé, j’avais sombré lamentable et sans même m’en rendre compte dans les bras de Morphée, seul. Cette nuit-là fut successivement comateuse et cotonneuse, cauchemardesque et angoissante, surréaliste et féérique, calme et lumineuse.

On ne sait pas narrer la folle course de l’inconscient, on ne peut pas partager les innombrables émotions de l’abracadabrant film des rêves, on ne parvient jamais à mettre les mots justes, on est toujours bien en deçà des épouvantables merveilles rencontrées dans les sommeils, qu’ils soient profonds et de plomb, de plume ou d’enclume, courts, interminables ou intemporels, agités et démoniaques, d’ange. L’imbrication des séquences, l’architecture spiralée,  l’abondance de personnages forts en caractère, de silhouettes fugaces, de dialogues succulents… font de nous les plus grands cinéastes que l’on puisse imaginer. Curieux cinéaste qui ose tous les rebondissements, connait l’art des couleurs et de l’inénarrable, se permet les violences les plus crues tout en ne sachant ni comprenant rien aux actes de ses personnages ; triste cinéaste qui n’aura jamais qu’un unique et chanceux spectateur à la mémoire bien défaillante.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire