Il faut dire que ce soir-là, le mistral étourdissant avait chassé du ciel noir toute impureté. Limpide, l’épais fond d’écran, parsemé d’étoiles parfois éblouissantes se tenait là juste au-dessus de nos têtes comme à portée de main, d’index et de pouce.
Les cyprès dans le jardin -ils étaient cinq- fouettaient
violemment l’air, dansaient ardemment dans la pénombre, noyés dans un vacarme
froissé. Ils rappelaient l’alignement de peupliers bordant d’un seul côté la
petite nationale reliant la bourgade d’Aire sur la Lys et quelques villages au
sud. Élégante et géante, cette cinquantaine de silhouettes fines et majestueuses d’hommes respectables, m’avait
toujours plue, poignée de plumes brunes posée dans l’encrier de la large
plaine. L’enfilade de hauts arbres noblement vêtus, –dans le sud de la France,
ce sont plutôt les platanes plantés sous Louis XIV- caressait aussi le ciel,
sans cesse, changeant. Et le caressant, me donna souvent grand plaisir.
Ce soir-là fut si venteux et froid que la peur nous monta au
ventre.
Que tout s’écroulât, que le châtaignier soudain renversé
s’affaissât sur notre toit, que proche, la fin n’eût pas même le temps de
s’annoncer. Une de ces peurs idiotes mais dramatique et incontrôlable, savamment
orchestrée, implacable et musicale. Je rentrai dans le Mas rassurant. Les
pierres semblaient pouvoir résister à telle tempête. L’insert de la cheminée
carburait mais la température des pièces peinait à atteindre les 16° tant les
rafales frigorifiaient la toiture.
J’allai dans la salle de bain, me trouvant le teint bien
blême, le fond de l’œil rougi, fébrile.
Sévèrement enrhumé depuis la veille, sous les quatre couches de
vêtement, la gorge commençait à picoter; du nez s’écoulaient les minuscules
cascades froides, incessantes, énervantes. Dans le miroir, j’observai en
souriant la buée chaude s’échapper de la bouche. Chaude, fuyant les égouts. Je
ne réussissais pas à faire de ronds avec.
Le contexte général aussi était à la peur, qui contaminait
insidieusement le quotidien. Bêtement, parce que nous en avions vu régulièrement
des images affolantes, les rues de nos villages intérieurs s’inondaient, les
piliers des bâtisses s’effondraient, les cris sourds et tremblants jaillissaient
de quelques ruines et des démons de la mémoire et l’on avait tôt fait de croire
que le trolleybus de 11h se prendrait la voiture piégée de plein fouet et que
des gens de couleur ou de race indésirable n’auraient plus droit d’y monter.
Ce soir-là pouvait bien devenir important puisque
potentiellement le dernier.
Il le devint car je pris une décision : de ce jour je
ne laisserais plus s’enfuir les souvenirs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire